Fondation Marguerite et Aimé Maeght
Hommage vivant à Aimé Maeght
Le Noir est une Couleur
Révélé au XIXe siècle par les sombres visions de Goya et de Victor Hugo, justifié par les fantasmagories informes, infernales et chimériques d’Odilon Redon, retrouvé par Manet dans les ombres de Velázquez, le noir fut la paradoxale aurore du XXe siècle, alors qu’il s’annonçait comme le crépuscule du siècle précédent, symboliste et romantique.
Et puis Matisse vint et l’affirma, le théorisa précocement, et le clama comme un mot d’ordre : le noir est une couleur. Addition et soustraction à la fois de toutes les couleurs, scientifiquement considéré comme une non-couleur au même titre que le blanc, combinaison neutre de toutes les couleurs, le noir se décrit plus généralement comme l’aspect d’un corps dont la surface ne réfléchit aucune radiation visible. Descartes rappelle dans sa Dioptrique : « Il y a des corps qui, étant rencontrés par les rayons de la lumière, les amortissent et leur ôtent toute leur force, à savoir ceux qu’on nomme noirs, lesquels n’ont point d’autre couleur que les ténèbres ».
Bien que symbole de la mélancolie et du pessimisme, ce fut donc Matisse, le peintre de la joie colorée, qui dota la modernité de l’usage du noir.
Le noir structura ainsi le XXe siècle, imposa sa tonalité plus vigoureuse que triste, plus architecturale que nocturne, plus subtile que tranchante. « Le noir, comme le rouge, comme le vert, comme le bleu, comme toute autre nuance, a ses clairs, ses demi-teintes, ses ombres ; il ne fait pas, parmi les objets qui l’entourent, cette tache absolument opaque ; il s’y relie par des reflets, par des rappels, par des ruptures ; autrement il creuse un trou dans le tableau » (Théophile Gautier).
Le 6 décembre 1946, la galerie Maeght Paris ouvre une exposition « Le Noir est une couleur » constituée de 25 œuvres inédites, de Bonnard, Matisse, Braque, Rouault, Van Velde, et d’autres artistes reconnus à cette époque. Cette exposition est accompagnée de l’édition du premier numéro de « Derrière le miroir », (la revue devenue légendaire fondée par Aimé Maeght et sa maison d’édition « Pierre à feu »), clamant lui aussi, haut et fort en couverture, que le noir est une couleur.
Orné de six lithographies de Geer Van Velde, Jacques Kober y affirme : « Le noir nous donne un recul, une sorte de pauvreté. C’est une perte d’équilibre, un appel d’air. C’est le noir qui fait faire aux couleurs le grand écart. Il s’agit donc d’une lumière au-delà de la lumière, de son acclimatation et qu’elle permette un renouveau, une source (Mes Faims, c’est les bouts d’air noir, dit Rimbaud). […] Mais le noir est à la fois notion abstraite, et par là dangereuse à mesure qu’elle prend le large – et donnée concrète. Le noir concret (si j’ose dire) peut être brûlure ou caresse, éclaboussement. Sa présence met, par choc en retour, la peinture tout à construire de couleurs une synthèse de lumière et d’espace (les couleurs étant celles sur la toile et non dans le tube ».
En reprenant ce titre, « Le noir est une couleur », la Fondation Maeght à Saint-Paul rendra hommage à cette exposition et à cette revue fondatrice et se projettera dans l’avenir, du 30 juin au 05 novembre 2006.
En outre, l’heureux hasard des dates s’en mêle, ce sera l’occasion de célébrer le centenaire de la naissance d’Aimé Maeght (1906).
Geer Van Velde, Henri Matisse, Georges Braque, et Pierre Bonnard seront les témoins « présents » de l’exposition de 1946, Joan Miró et Fernand Léger offriront leurs vagues irrépressibles. Lucio Fontana, Olivier Debré, Simon Hantaï, Hans Hartung grifferont et entameront la nuit des toiles.
Ellsworth Kelly, Ad Reinhardt, Josef Albers, Aurélie Nemours, Barnett Newman architectureront le velours infini de leurs sombres pigments.
Robert Motherwell, Willem De Kooning, Kazuo Shiraga, Bram Van Velde, Raoul Ubac, Henri Michaux, Franz Kline, Jean Dubuffet, André Masson, inscriront leur geste dans la matière. Alberto Burri, Richard Serra, Jannis Kounellis, Claudio Parmiggiani, Antonio Saura, Arnulf Rainer, Gerhardt Richter, Antoni Tàpies et Pierre Soulages répandront leurs grasses et soyeuses effluves.
Alighiero Boetti, Pol Bury, Jean Tinguely, Robert Malaval, Anne et Patrick Poirier, supprimeront la pesanteur de leurs matériaux.
Bernar Venet, Christian Boltanski, Brice Marden, Allan Mc Collum, Anish Kapoor, Anselm Kiefer, brouilleront au moyen de leurs obscurités les limites entre la figure et l’informe.
Enfin, Nicolas Chardon, Pascal Pinaud, Mark Dion, Henri Foucault, Pierrette Bloch, Richard Jackson, le groupe BP, inviteront à la distance, parfois non sans humour, avec ce que Jean Dubuffet remarquait pour dire les variations du noir : « éclat, mat, luisant, poli, rugueux, fin… le noir est une abstraction ; il n’y a pas de noir, il y a des matières noires. »
Dominique Païni
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